Jusqu'en 1789, à Ingrandes la frontière de Bretagne n'était surveillée que sur la Loire ; une barrière importante fermait la route royale, l'actuelle RN23, au niveau de la « Riottière », à l'auberge St Julien.


Une route moderne, en 1789


En fait, ce village-carrefour ne date que du 18ème siècle. La vieille route royale venant d'Angers passait par les Petites Rivières, Ponet, la rue du Mesurage, puis remontait par le chemin des Guillonnières vers la Brellerie et la cote de Bray, direction Nantes.


L'axe Sud-nord depuis la port d'Ingrandes montait par le chemin du Brulis, passant entre le château actuel et la vieille Combaudière, vers le « Corps de Garde », à l'est de la Charbonnerie, puis retrouvait l'actuelle route de Candé.


Le Fief Egaré, la Riottière, l'actuel château de la Combaudière appartenaient au Sieur de Ménardeau, à Montrelais et donc à la Bretagne.
C'est sous Louis XV, vers 1765, sous la responsabilité de l'Ingénieur Trudaine, qu'est créée une belle route royale de première classe : 60 pieds de large, légèrement bombée, ombragée de files d'arbres et bordée de fossés profonds. C'est aussi à cette époque qu'est construite la gendarmerie et la « Grande Barrière », aux « Pierres de Bretagne ». L'auberge attenante s'appelle Saint Julien : elle est le témoin des grands et petits évènements de notre histoire locale :


En 1772, la diligence de Paris - Nantes via Angers relayait à Champtocé trois fois par semaine, puis s'arrêtait à Ingrandes vers sept heures du soir, pour la nuit : hôtels et auberges y étaient nombreux ; le départ avait lieu à 4 heures du matin pour être à Nantes à 8 heures du soir.


Plus rapides, le 15 juin 1778, deux voitures d'aspect peu brillant, mais attelées de 16 ou 18 chevaux passent la frontière à vive allure : toutes les autorisations sont déjà acquises. Arrêt à Champtocé, puis rejoint Serrant à la Roche en vingt minutes : c'est Joseph II l'empereur d'Autriche, le frère de la reine de France, qui rentre précipitamment de Brest à Vienne près de sa mère gravement malade.


En novembre 1788, l'économiste et écrivain anglais Arthur Young prend son temps, lui, et écrit : « superbe vue de la Loire du dernier village de Bretagne ; il y a une grande barrière qui traverse le chemin et des douanes pour la visite de tout ce qui vient de là. La Loire prend ici les proportions d'un grand lac, des bois l'environnent sur chaque rive, ce qui est rare pour ce fleuve. Des villes, des clochers, des moulins à vent, un bel horizon, de charmantes campagnes couvertes de vignobles donnent à ce fleuve autant de gaieté que de noblesse. Entrée en Anjou par d'immenses prairies ».


En fait, il s'agit de « l'entrée de France », importante frontière puisque la Bretagne avait conservé le privilège du libre commerce avec l'étranger. A la fin de l'Ancien Régime, vivaient à Ingrandes 80 fonctionnaires des gabelles, des douanes, procureurs, etc... Une escouade de gendarmerie se tenait donc à la Riottière. Avec la Révolution, elle va être le théâtre de plusieurs drames.


L'émeute du 12 août 1789


Elle est relatée par le Receveur des Traites et le brigadier des Fermes.


A 11 heures du matin, deux cents hommes venant de Candé, de Champtocé, de Saint Germain des Près, dirigés par des bourgeois et des nobles libéraux viennent avec des haches détruire la barrière et ainsi faire disparaître le symbole des particularismes provinciaux. Cette barrière devait être conséquente car le rapport nous apprend que « ceux de cette troupe qui étaient armés de haches s'étant mis à abattre ladite barrière et y travaillant avec une ardeur incroyable, après environ une demi heure de travail sont parvenus à la renverser ainsi que la guérite... »


Puis les émeutiers de plus en plus échauffés descendent sur Ingrandes, pillent le grenier à sel d'Ingrandes et le sel franc de la réserve du Fresne, délivrent les prisonniers des deux prisons, obligent les fonctionnaires à rembourser les amendes récemment perçues, détruisent six bateaux dans la Boire et mettent le feu à de grosses gabares de l'administration, qui risque de se communiquer aux maisons.


La grande déroute d'Ingrandes


Le 31 août 1793, l'armée républicaine de Mayence, sous les ordres du Marquis de Canclaux et du Général Kléber, stationne ses 12 000 hommes à Ingrandes. Mais le 18 octobre, c'est « la grande déroute d'Ingrandes ». L'armée catholique et royale traverse la Loire à St Florent - c'est bien connu - mais aussi entre Culbœuf et Montrelais vers la Riottière pour rejoindre la route de Candé pour la « Virée de Galerne ». Les 800 hommes de la Riottière et leur artillerie, commandés par Tabary (peu apprécié des Ingrandais) sont rapidement bousculés et fuient jusqu'à St Georges. 49 soldats et 15 Ingrandais sont tués ce jour là. Les Ingrandais qui restent, voient s'installer 80 à 100 000 Vendéens dans la nuit du 18 au 19 octobre ; leur général, de Lescure, est mourant ; il ne peut supporter les cahots de sa berline qu'il abandonne à la Riottière. Soudry écrit dans ses mémoires : « C'est comme l'Adjudant Général Tabary qui s'est très mal comporté dans cette affaire ; il a été guillotiné à Angers avec sa putain. Durant cette bataille le bonhomme Soudry s'est sauvé et s'est retrouvé sur le port Dey à Angers, nous trouvâmes bien une dizaine d'habitants d'Ingrandes. Pierre Bourcier qui était soldat et qui avait un grade nous procura du pain d'amunition. Il n'était pas commode d'en trouver pour de l'argent ».


Pendant les sept années qui suivent, les Ingrandais connaîtront les dégâts de tous les partis combattants-soldats républicains, Chouans ou Vendéens.


Ingrandes va se renfermer dans des fortifications de fortune depuis la rue des Douves jusqu'au Champ de Foire : jusqu'en 1799 il sera aventureux d'aller jusqu'au Cassoir ou à la Riottière car on risque de tomber entre les mains des Chouans et les Ingrandais connaissent alors la famine.


Des marins anglais à Ingrandes


Les routes deviennent fréquentables avec le Consulat. S'il n'y a plus de frontière à la Riottière, l'auberge St Julien est toujours une gendarmerie et reçoit d'étranges prisonniers en 1801 et 1802. Il s'agit de marins anglais sans doute dirigés vers le château d'Angers. Ils doivent stationner un bon moment dans le grenier central de la gendarmerie car ils ont le temps de graver leurs bateaux et leurs noms parfois avec beaucoup de finesse. Les vaisseaux à trois mâts ou des cotres sont reproduits avec des détails et une allure qui signent l'oeuvre de marins. Ils ont aussi été inspirés par les gabares de Loire ou par les moulins du Fresne qu'ils voyaient par la lucarne. Quelques phalli audacieux confirment la pérennité de certaines sources d'inspiration....On relève le « H.M.S. Unicorn, 5 men »*; et les noms de « John Bellantyne », ce qui mériterait une étude plus poussée.


La gendarmerie accueillera encore des chaînes de condamnés et de bagnards (1800 personnes entre 1825 et 1858) jusqu'à ce qu'ils voyagent par chemin de fer, puis sera transférée vers 1859 au 23 rue du Pont.


Le bâtiment appartiendra ensuite au domaine du château de la Combaudière jusqu'en 1945.


Sa restauration récente a bien mis en évidence les caractéristiques d'un des bâtiments administratifs de l'Ancien Régime, si nombreux à Ingrandes.


Que ces quelques souvenirs lui confèrent un attrait supplémentaire.

* Her Majesty Ship


J.B. GLOTIN

Sources :M. MENAGER, Mme F. de PERSON.

C. PORT.

Mémoires de S'OUDRY.

Archives de la Combaudière, carte de Cassini.